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Pap, pap, pap : Peines d’Amours Perdues de Shakespeare

25 janvier 2010

Avant d’emménager sur Paris, on se dit souvent que ça sera l’occasion de sortir plus souvent, voire même d’essayer de se cultiver avec les nombreuses expos proposées, les innombrables événements qui couvrent le mur du métro (qui en a bien besoin d’ailleurs). Mais dans les faits… c’est dur de se bouger (sii, quand même … enfin moi, je trouve !).  Un peu comme les bonnes résolutions, en particulier celles de faire du sport ou encore celle de manger ses 5-fruits-et-légumes-par-jour, l’envie d’aller au théâtre est très peu souvent suivie.

J’étais pourtant loin d’essayer de me motiver pour aller voir une pièce ce soir là, quand j’arpentais le dédale parisien carrelé de blanc… Et puis je croise une affiche avec un gros tournesol en son centre. Cela m’évoque alors un souvenir bien lointain. (Oui, les tournesols m’évoquent des trucs, ça peut arriver à des gens bien…) Je lis alors le titre de l’affiche. Yep, c’était bien ça : Peines d’Amours Perdues, comédie de Shakespeare. Donc déjà, oui, cet illustre monsieur à écrit de nombreuses comédies, mais rarement aussi connues que ses tragédies. Sinon, sur le mode plus personnel, si ce titre m’a chatouillé les yeux, c’est qu’il s’agit tout simplement de la pièce que j’ai jouée lors de mon passage dans le groupe de théâtre de mes années d’école.

J’ai eu envie de revoir la pièce, ou plutôt de voir ce qu’elle donne jouée par de « vrais » acteurs. Et hop, déclic, et hop billets achetés, et hop coloc’ et amis traînés (pas de force, hein, je vous rassure, mes muscles ne le permettent pas), finalement c’est facile d’aller au théâtre ! Donc clairement, j’aurais du mal à vous dire ce que j’en ai pensé en tant que spectatrice appréhendant une pièce inconnue. (Mais heureusement, pour ça, y a les commentaires… Faudra que je re-traîne les amis.) J’ai plutôt choisi le parti pris de développer mon ressenti par rapport à une pièce que je connais quasi par cœur (et encore pardon à ma voisine pour l’effet stéréo que j’ai pas pu m’empêcher d’avoir sur certaines répliques, même si j’ai essayé de ne pas le faire…).

Synopsis :

Peines d’amours perdues, ou Love’s Labour’s Lost en VO, écrite en 1593, est l’histoire de 4 princes, dont le jeune Roi de Navarre, qui décident de se retirer de toute vie sociale pendant 3 ans pour étudier, jeûner et éviter de tomber dans cet encombrant travers qu’est l’amour… Si le corps dépérit, l’esprit va faire banquet ! Charmant programme, surtout pour ceux, qui innocemment dormait toute la nuit et faisait nuit noire de la moitié du jour. Pour éviter les distractions, aucune femme ne peut s’approcher du château, sous peine de perdre la langue. Loi dangereuse pour la galanterie ! Pourtant, le Roi est contraint d’y déroger : la princesse de France, en personne, vient le trouver pour une mission diplomatique.  La belle est accompagnée de 3 de ses dames de compagnie. Voilà donc nos princes amoureux et parjures… (Parjures et de nature changeante, tout comme le tournesol qui suit la course du soleil, en voilà une belle explication d’affiche 😉 – En tout cas, c’était la raison pour laquelle le décor de notre pièce était composé de ces mêmes fleurs.)

Le féminisme avance masqué

Peut-être que tous ne seront pas d’accord avec moi, mais je trouve cette pièce hautement féministe ! Ce sont les femmes qui mènent le bal, de la princesse à l’humble paysanne, toutes renvoient les hommes dans leurs brancards. Ces dames sont légèrement agacées par ces jeunes princes arrogants et hypocrites, intéressés que par leur apparence, tentant de les séduire en les emmurant de cadeaux. Elle décident de rendre coup pour coup.

« Oh ! Ce même Berowne, je vais le torturer avant de partir. Que je voudrais l’avoir à mes gages en seulement une semaine ! Comme je le ferais ramper, supplier, solliciter, attendre l’occasion favorable et épier les temps, dépenser son prodigue esprit en rimes sans récompense ; employer ses services à mon gré, et même être fier d’être le jouet de mes railleries !… Je voudrais gouverner aussi despotiquement toute son existence, que s’il était mon fou, et moi sa destinée. »

Après, pour ceux qui n’y voit que méchancetés, laissez-moi vous rappeler que nous sommes au 16ème siècle et qu’une femme est rarement maîtresse de son propre destin. D’où la tentation de devenir les seigneurs de leurs seigneurs et maîtres. C’est pour ça également que je trouve beau d’attribuer à Rosaline, la première dame de compagnie (le personnage qui a le plus de relief dans la pièce avec son équivalent masculin Berowne), cette réplique :

– (Boyet, le chambellan de la princesse) : Et qui en est le propriétaire ? (de ses lèvres)

– (Rosaline) : La fortune et moi !

Cependant, pour pouvoir se « défendre », les filles devront avoir recours au déguisement, au « masque »… Leur identité ainsi cachée, elles peuvent se permettre beaucoup, bien plus que normalement. Une métaphore de la nécessité de camoufler leur réelle personnalité pour survivre en ce siècle ? En attendant, si les hommes sont roués de sarcasmes, rassurez-vous, ces demoiselles ont bon fond, et l’histoire finit (à peu près) bien.

Cachez-moi ce sous-entendu que je ne saurais comprendre…

Autre chose qui marque également dans ce texte, c’est sa dimension « salace »… Shakespeare a dû s’amuser ! Le texte est truffé de références plus au moins directes (visez plus bas, défiez la plutôt aux boules, monseigneursi je ne te touche, un autre y viendracette pucelle me satisfait moi, monsieur !…), dont les comédiens peuvent plus au moins jouer… Après il s’agit de choix, et dans le cas de mon groupe amateur et de notre prof, grand amateur du style, on l’avait joué à fond… (N’essayez même pas d’imaginer comment on a joué la réplique « pour mieux brouter vos lèvres« ,  ou même le geste qu’une jeune et naïve demoiselle  – comment ça, c’est moi ?? – a effectué pour accompagné la réponse « C’est par là » à l’anodine phrase :  » Je viendrais te voir au pavillon « ). Dans le cas de la troupe de Châtillon, les acteurs professionnels ont quand même plus de tenue (même s’ils s’amusent également du texte), mais vous pouvez y aller avec des enfants…

Avis sur la pièce ?

En conclusion, moi j’ai bien aimé, et je conseille donc, avec les précautions d’usage : test de résistance au longues tirades, test de résistance à la non-compréhension de certaines répliques (mais je vous rassure, il y en a qui même après les avoir entendues 50 fois, j’en comprenais toujours pas le sens, en particulier celles du discours du page…). Si ceci ne vous fait pas peur, vous pouvez allez apprécier la vivacité qui sort de cette pièce, les jeux de l’amour et la danse déchaînée de moscovites glacés. Ce ne sera pas du temps perdu ! (Maîtres de la phrase facile, pardonnez-moi !)

Et que le ciel vous envoie beaucoup d’amants !

BilletReduc

Peines d’Amours Perdues, Théâtre de Châtillon, du 15 janvier au 6 février 2010, mise en scène de Gilles Bouillon.

4 commentaires leave one →
  1. Lib permalink
    25 janvier 2010 08:02

    Ça m’a l’air très sympathique tout ça !! J’ai vu Love’s Labour Lost au Globe Theatre à Londres, ça m’avait amusée.
    Et si tu as d’autres envies de théâtre, n’hésite pas à me faire signe, Makuchu !

  2. Makuchu permalink
    25 janvier 2010 12:42

    Ca marche, je note !

  3. platypus permalink
    25 janvier 2010 13:11

    Frais et limpide cet article ! Ca donne envie. Merci beaucoup Makuchu !

  4. Ofboir permalink
    31 janvier 2010 12:35

    « j’aurais du mal à vous dire ce que j’en ai pensé en tant que spectatrice appréhendant une pièce inconnue. (Mais heureusement, pour ça, y a les commentaires… Faudra que je re-traîne les amis.) »

    Je crois que je dois me sentir visé. J’ai mis du temps à réagir à la pique, mais voilà mon avis : globalement, tout pareil que Makuchu.
    C’est sûr qu’il faut s’accrocher, et de toute façon certaines répliques vont passer à la trappe. Le langage est très soutenu et surtout ancien, et le débit de parole est conséquent. Mais les blagues (salaces) qu’on réussit à en extirper n’en sont que plus savoureuses (pour ma part c’est la réplique « Madame, vous m’échauffez la bile » qui m’a fait tiquer), et le jeu des acteurs est juste et dynamique (pas évident de rendre vivant et drôle un texte pareil), qui vous réservent en prime une petite acrobatie à un moment de la pièce …

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