Mélo sans larmes
Les mélos, je n’ai rien contre. Je suis une fervente admiratrice de Douglas Sirk, et j’ai dévoré des bouquins de ce genre durant mon adolescence – que je relis régulièrement avec grand plaisir durant les vacances. Donc, les mélos, fondamentalement, je n’ai rien contre – chialer un bon coup, ça peut faire du bien aussi, parfois.
Donc, quand est sorti au cinéma My Sister’s Keeper (Ma vie pour la tienne en français dans le texte, je trouve dommage que la référence biblique ne ressorte pas, mais si on me branche sur les traductions de titres, on n’est pas sortis…), j’ai pris l’air intéressé. Quand, au début du mois, j’ai vu que le bouquin faisait partie de la promotion 3 for the price of 2 chez Waterstones, j’ai acquiescé. Quand j’ai constaté que Nick Cassavetes avait réalisé le film, et que celui-ci comprenait Cameron Diaz et Abigail Breslin (la petite Olive de Little Miss Sunshine), sans oublier Alec Baldwin et Joan Cusack, je me suis dit, pourquoi pas ? J’ai donc traîné Syracuse Cat au cinéma de Rouen Saint-Sever (3.90€ pour les moins de 26 ans, version originale en plus), j’ai commencé le livre (j’en étais environ à la moitié quand je suis allée voir le film), et j’ai sorti les mouchoirs…
… et je n’ai pas versé le début de la queue d’une larme, comme dirait ma prof de planning stratégique. Pour un mélo, c’est un peu triste – c’est le cas de le dire.
Donc oui, je tiens à le dire dès maintenant, ceci ne sera pas un billet « bisounours-tout-le-monde-il-est-beau-tout-le-monde-il-est-gentil. » Donc si vous avez adoré le livre / le film, beware, la suite risque de vous énerver. Contrat de lecture établi, revenons à nos moutons.
Le pitch, en court : la famille Fitzgerald mène une vie de rêve comme seul Hollywood sait nous les raconter. Un petit garçon, une petite fille, un papa pompier, une maman femme au foyer – parce qu’élever des mômes, c’est beaucoup mieux qu’être avocate (je sais pas vous, mais si j’avais eu pour vocation d’être femme au foyer, je me serais pas fait chier en law school. Mais bon, chacun son truc). Jusqu’au jour où Kate, la petite fille, est diagnostiquée avec une forme aiguë de leucémie, espérance de vie, 5 ans. Aucun membre de la famille n’étant compatible pour de nécessaires greffes (je vous passe les détails médicaux), les parents décident de mettre au monde un 3e enfant génétiquement compatible avec Kate. Ainsi naît Anna, qui accepte d’être régulièrement amputée de sang, de cellules, de moelle osseuse, selon les besoins de Kate – en même temps, quand les prélèvements commencent dans l’heure suivant votre naissance, difficile de donner son opinion. L’idée était bonne, puisque Kate souffle 16 bougies. Mais ses reins sont en train de lâcher, il faut qu’Anna fasse don d’un des siens. Sauf que là, elle dit non, et prend un avocat pour traîner ses parents en justice. Et c’est le drame.
La fin, je la dévoilerai à la fin de ce billet, avec la mention ‘spoiler’ appropriée, car il y a matière à discussion.
Il y a des points positifs : la narration est bien ficelée, le film avance peut-être un peu lentement, mais sans que cela n’ait d’effet sur l’attention du spectateur. On a affaire à un réalisateur d’expérience, et ça se voit. Un peu trop, d’ailleurs : tout est maîtrisé, sans faille ni aspérité, bien lissé, bien polissé – ce qui a tendance à neutraliser l’émotion. Des bonnes performances d’acteurs : Cameron Diaz est excellente en Mère Courage prête à tout pour défendre son oisillon malade, Abigail Breslin s’en tire bien (même si la performance n’est pas tout à fait aussi mémorable que dans Little Miss Sunshine), et les vieux de la vieille Alec Baldwin et Joan Cusack affirment leur jeu avec confiance – particulièrement Joan Cusack (si vous ne l’avez pas vue en meilleure copine déjantée dans Working Girl, de Mike Nichols, c’est vraiment dommage pour vous).
Mais voilà, on tire tellement sur la corde mélo que finalement, ça en fait des tonnes sans vraiment émouvoir le public. Parce qu’il y a un moment, à force de vous dire : mais tu vas pleurer, oui ! ben je sais pas vous, mais moi, ça me donne tout, sauf envie d’être émue. Et je n’étais pas la seule, puisque je n’ai vu personne sortir de la salle en se tamponnant les mirettes d’un mouchoir. Il y a la musique, il y la crâne rasé de la gamine malade (elle a une leucémie, d’où chimio, d’où crâne chauve), les voix off, les jeux de lumière dorée, les scènes de famille sur la plage en son off, avec juste la musique pour vous tirer les sanglots… trop, c’est trop. Et plus l’intrigue se fourvoie dans le dramatique (SPOILER : le petit ami de Kate, cancéreux lui aussi, qui calanche ; le frangin qui tourne mal ; la juge dont la petite fille de 12 ans s’est fait renverser par une voiture… j’en passe et des meilleures), plus l’envie de pleurer vous passe. Ok, le pathos, c’est un des ressorts de la tragédie, mais n’est pas Sophocle qui veut.
Passons à la fin
SPOILER ALERT
Ou plutôt, aux fins, car le livre et le film n’ont pas choisi le même dénouement.
Fin n°1, le livre.
Dans le procès qui l’oppose à ses parents, Anna gagne le droit de disposer de son corps, et de ne pas donner son rein à sa soeur. Sauf que, retournement de situation, Anna avoue que c’est Kate qui lui a demandé de refuser le don d’organe, pour qu’elle puisse mourir en paix (quand on voit comment elle déguste, on comprend). Kate se meurt sur son lit d’hôpital, donc. Mais en sortant du tribunal, Anna est victime d’un accident de voiture – on l’apprend du point de vue du père, pompier de son état, je vous le rappelle, qui intervient sur la scène. Mort violente d’Anna, qui peut donc, au final, faire don de son rein à Kate. Celle-ci vit de longues années, sachant que sa soeur survit dans son corps, par le don d’organe.
Je vous entends. Yuk.
Fin n°2 : le film.
Même topo au niveau du procès, sauf qu’Anna ne meurt pas : c’est Kate qui meurt. Un peu moins over dramatique, parce que bon, une petite leucémique qui ne s’en sort pas, c’est un peu plus crédible qu’un accident de voiture qui amène à la fois à la vie et la mort.
Mon problème avec ces fins ?
Déjà, un problème commun aux deux : la décision de poursuivre ses parents en justice ne vient pas de la volonté d’Anna de revendiquer le droit de disposer de son corps, mais bien de sa soeur Kate, qui n’arrive pas à faire comprendre à sa mère qu’il est temps d’en finir. Anna s’élève ainsi au rang de martyre. Et perd tout intérêt à mes yeux. La bataille interne entre des sentiments égoïstes, mais compréhensibles, et l’amour qu’elle porte à sa soeur ; le courage de taper du poing sur la table et de réclamer son droit au libre-arbitre… tout ça part en fumée au moment où on apprend que Kate est dans le coup. OK, cela fait du film une ode à l’amour fraternel (ça se dit, sororal ?), mais bon… c’est un peu gnan gnan et limité, comme concept. Un bon dilemme cornélien insoluble, je trouvais ça vachement plus funky, moi.
Quant au parti pris de Picoult ou Cassavetes, à savoir la mort de l’une ou l’autre des gamines… Petite mise en contexte : j’ai vu le film avant de finir le livre. J’ai donc vu la fin ‘Kate dies’ avant de voir la fin ‘Anna dies.’ La fin du film est très pleurante (sauf qu’on pleure pas, mais je vais pas vous la refaire), pas si attendue que ça (moi j’avais parié sur « Anna gagne le procès mais donne quand même le rein à sa soeur » – mais sans clamser cela dit), et crédible. Kate est en train de crever, de toute façon – le réalisateur l’accepte, refuse le twist de la laisser vivre, et au fond, c’est acceptable. Le mélodrame à outrance l’est peut-être moins, mais bon, c’est ce qui arrive souvent avec les petits cancéreux version Hollywood.
La fin du livre est proprement révoltante, et insulte notre intelligence. La petite soeur qui non seulement se met sa famille à dos pour réaliser le souhait de sa frangine, mais qui en plus se carambole en voiture, mort clinique, rein effectivement donné, et Kate gets to live? Come on. On la canonise, après ? De qui se moque-t-on. Trop, c’est trop, pas de larmes, mais un sourire cynique qui traduit bien que l’auteur est allée vraiment trop loin.
Le film dit ce qu’il est, un mélo réaliste, pas forcément bien réussi, mais qui a le mérite de ne pas prendre les spectateurs pour des branques. Le livre est une fumisterie qui prend en pleine face tous les écueils de ce genre de littérature. Désolée pour les fans de Jodi Picoult – mais ce n’est juste pas une manière de traiter ses lecteurs.
Merci pour cette review, qui me permet d’être ferme alors qu’on essaie de m’y trainer 🙂
Je suis 100% d’accord avec toi : autant c’est couillu et intéressant le coup du « je refuse de l’aider », autant le « c’est elle qui le veut » c’est 1/un twist 2/mélo 3/usé à mort, trois raisons de vomir. Et surtout ça enlève tout l’intérêt de la question. Après c’est clair que le twist supplémentaire de la fin du bouquin fait passer le livre à un niveau proche de guillaume musso ou d’un autre auteur que je ne citerai pas parce que je vis en couple :D, cad pleure ma fille, je te donne ce que tu veux et à la fin tu seras humide mais contente.
Figure-toi que ça fait un moment que me travaille l’idée de faire un billet sur l’auteur que tu refuses de citer. Mais j’hésite encore, car pour être crédible, il faudrait que je me tape ses bouquins (j’ai arrêté il y a longtemps), et bon, j’ai pas que du temps à perdre non plus… Un jour, peut-être. Ça ne sera pas tendre :p
Par curiosité, qui est l’auteur-dont-on-ne_doit-pas-prononcer-le-nom ??
Voldemort…
T’inquiète, Makuchu, je ferai bientôt un billet dessus, et le mystère sera révélé…
Le seul film vraiment dramatique qui fait pleurer tout le monde c’est Lassie. Je l’ai revu il y a peu, ben les ficelles marchent toujours. Attention lassie un sanglier ! Et paf le chien, comme on dit. Heureusement, ça finit bien.
En plus, la musique est pas terrible…
Juste une toute petite précision pour faire genre, on est honnête, l’intégrité, on y croit et tout : en fait la mère n’arrête de travailler que quand la leucémie est diagnostiquée, pas juste après la naissance de ses deux premiers enfants.
Dans le bouquin, elle arrête de travailler après la naissance du premier.